lundi 22 juillet 2013

Histoire Zen : le maître de Kendo


Le Maître de Kendo

21 juillet 2013, 14:31
Un Maître de Kendo accueillit un jour un nouvel élève tout enthousiaste et frétillant à l'idée d'être enseigné. 

Le maître le salua et lui demanda d'aller chercher de l'eau à la rivière et du bois dans la forêt.
L'élève ne s'attendait pas du tout à cet ordre. Cependant sans dire mot, il obéit au maitre et il  s'exécuta. 
Non seulement il s'exécuta ce jour, mais il s'exécuta aussi le lendemain, et encore le surlendemain, la semaine en entier, le mois, le trimestre. L'élève s'exécuta jusqu'au bout de l'année troisième. 
Soit trois années durant. Au bout de la troisième année l'élève se mit en colère. Il déclara qu'il était venu pour apprendre le kendo, que non seulement il n'avait rien appris mais que et qui plus est, il n'était même  pas encore entré dans la salle d'apprentissage, alors il allait partir. 
"Reste et suis-moi " déclara le Maître en lui ouvrant la haute porte des lieux. 
L'élève s'emballa, il souriait, enfin, enfin il allait apprendre;
Le maître lui demanda 
"Vois-tu les tatamis ?" avant même que l'élève ne hochat la tête pour abonder dans le sens de la question sans attendre la réponse de l'élève il poursuivit en disant "fais le tour de la salle en marchant uniquement sur le bord gansé du tatamis et ce sans jamais mettre un pied au sol"
L'élève commença, à faire le tour de la salle sur le bord des tamis, sans toucher pied à terre. Il fit ainsi tout le jour, il fit ainsi le lendemain et le surlendemain aussi, la semaine, le mois, l'année et il se mit en colère. Il déclara au Maître
"Maitre je suis venu pour apprendre, je n'ai encore rien appris, je m'en vais" 
Et il tournait le dos quand le maître lui dit 
"Suis-moi" l'élève suivit le maître.
Le Maître prit le chemin qui menait vers la montagne. L'élève suivit le Maître. Bientôt le chemin les obligea à grimper le long de la montagne. Ils grimpèrent, grimpèrent encore, enfin le maître s'arrêta. Au bord d'un précipice. Du jamais vu. Une profondeur inouï. Et une largeur inimaginable comme celle du tronc qui reliait entre elles les deux rives. Un tronc au-dessus d'un ravin aussi fantastiquement profond. "Le maître ne  va tout de même pas me demander de traverser" pensa l'élève.
Au même moment le maître déclara 
"Traverse" 
Les jambes de l'élève se mirent à trembler, son coeur à s'emballer, le vertige à s'emparer de lui. L'élève était effrayé, il avait peur, il avait la peur au ventre.  C'est dans ces conditions qu'il perçut un petit bruit répétitif, une alternance, une sorte de rythme, qui lui fit lever la tête et découvrir, émergeant du sentier qu'ils avaient suivis, un homme qui marchait à trois temps pour l'aide d'un bâton qu'il tenait de la main droite et qui tâtonnait sous l'impulsion de son bras. Ce qui parut incroyable à l'élève c'est qu'il ne faisait aucun doute que l'homme était aveugle et que, c'était visible, il s'apprêtait à traverser le ravin en suivant le tronc. Il en prenait la direction.
Sous les yeux des deux hommes le nouveau venu posa un pied sur le tronc d'arbre puis deux puis il se mit à cheminer et s'il s'arrêta un instant au milieu du ravin, bâton à l'horizontale comme s'il était un funambule, à donner la chair de poule à l'un des spectateurs, il parvint de l'autre côté de la rive. Alors.
Alors l'élève posa un pied sur le tronc d'arbre. 
Puis deux.
©lania




lundi 15 juillet 2013

"Jean qui ne riait jamais" Conte espagnol dédié à Bernard, l'homme sur le doigt duquel se posa une mésange

C'est un conte d'origine espagnole que j'ai lu il y a très très longtemps. Où l'ai-je lu ? Je ne m'en souviens plus, mais comme dans l'histoire juive, il me reste toujours la possibilité de raconter l'histoire, à ma façon.
Once upon a time
Erase una vez
Il était une fois
Un enfant naquit dans un village.
Son père et sa mère étaient heureux et fiers. Rendez-vous compte, un garçon, du premier coup. En ce temps-là, c'était un vrai bonheur. Ils l'appelèrent Bernardo et ils laissèrent la porte ouverte à tous ceux, voisins voisines, qui auraient souhaité admirer l'enfant, et au passage, les féliciter.
Pour les féliciter ils les félicitèrent mais pour admirer l'enfant, s'ils l'admirèrent, ils n'en témoignèrent rien.
Sinon auprès des autres voisins qu'ils croisèrent
"Vous avez vu l'enfant ?"
"Il ne sourit pas, c'est étrange !"
Et l'écho ramena les propos au père et à la mère. Que dire, c'était si vrai, Bernardo ne riait jamais. Il restait sérieux. Il était peut-être sérieux : ça existe les gens sérieux, "lo sabes, esposa mia, no te préoccupas"
Chacun essayait de réconforter l'autre.
Bien sûr qu'il y eut El Flaco, el vécino. Quand il entra, il déclara d'une voix forte
"Olà ! Je vais le faire rire moi, vous allez voir !"
Mais il eut beau faire toutes les pitreries qu'il voulut faire devant l'enfant, El Flaco, l'enfant ne manifesta "ni una sonrisa"
Bien sûr qu'elle vint, "ella quien se llamaba La Gorda, la vecina" Bien sûr qu'elle déclara en soulevant tous ses jupons brodés et dentellés "Olà ! vous allez voir comme je vais le faire rire moi,"La Gorda", el pequegnito" Mais elle eut beau faire toutes les grimaces et pitreries qu'elle trouva, La Gorda, l'enfant ne manifesta "ni una sonrisa !"
Ils ne furent pas les seuls. "Por fin" un beau jour, la mère décida que son fils était né tel qu'il était né et qu'il serait accepté tel qu'elle l'acceptait. Tout le monde accepta Bernardo tel qu'il était, sauf peut-être.... lui-même.

Qui pouvait savoir ce qu'il pensait. Bernardo qui ne souriait jamais parlait peu. Mais il pensait beaucoup.

Trois ans, sept ans, quinze ans passèrent. Un beau matin Bernardo entra dans la cuisine. Plongée dans l'obscurité elle se protégeait du soleil grâce aux lourds volets de chêne fermés en "V". La mère préparait avec amour une exceptionnelle paëlla au poulet. Le lieu sentait bon l'ail, l'oignon, l'huile d'olive et le poivron. La mère sourit à son fils. Certes, Bernardo n'y répondit pas. Certes l'expression de son visage était toujours ombrageuse. Mais une fois de plus elle ne se retint d'admirer celui auquel elle avait donné le jour. Comme il était devenu beau. Sa silhouette élancée se découpait sur le jeu de lumière que le rideau de toile, sensé empêcher les mouches d'entrer dans le lieu, suggérait sur le sol. Elle sut immédiatement qu'il allait dire une chose importante. Laquelle, elle n'en avait nulle idée. Elle tendit l'oreille.
"Madre, tengo que irme !" "Mère je dois partir !" Si elle lui avait demandé pourquoi il n'aurait su répondre.
Définitive certitude. Les cinq mots tombèrent sans autre commentaire. Bernardo ne changerait pas de décision. Pourquoi l'en aurait-elle empêchée ? La silhouette du père apparut derrière le rideau de toile. Quand il releva ce dernier d'une main fatiguée par le travail du matin, Bernardo déclara
"Padre, tengo que irme !" "Père je dois partir !" S'il lui avait demandé pourquoi, il n'aurait su répondre.

En silence, la Mère tendit la main. En silence, la mère déposa dans la besace un pedazo de queso blanco, una botella de agua, una cuvierta. Dedans elle glissa un morceau de fromage, une bouteille d'eau, une couverture puis elle la tendit à Bernardo.
Un abrazo
Dos abrazo
La mère et le père, silencieux, celui-ci la main droite posée sur l'épaule de la mère, regardèrent la silhouette de leur fils aimé, diminuer jusqu'à disparaître à l'horizon, là où terre et ciel s'embrasent parfois.

On dit "Marche que je marche c'est en marchant que l'on fait son chemin" Bernardo marcha
Un jour, ou plutôt un soir, al amanecer, au bout d'une journée où il avait beaucoup marché, Bernardo entendit pleurer. Il releva la tête. Assis au pied d'un rocher un vieil homme pleurait. Bernardo s'approcha
Que tal ? Porque llores ?
Le vieil homme releva la tête. Il répondit que c'était parce qu'il n'avait pas mangé depuis longtemps et qu'il avait faim.
Bernardo plongea la main dans sa besace et lui donna du queso blanco, du fromage. 
"Reste" répliqua le vieil homme en le remerciant. Mais Bernardo le salua et reprit son chemin

"Marche que je marche" dit-on, "c'est en marchant que l'on fait son chemin" Bernardo poursuivit le sien.
C'est alors qu'un jour, ou plutôt un soir, al amanecer, au bout d'une journée où il avait beaucoup marché, Bernardo entendit pleurer.  Il releva la tête. Il découvrit un homme, assis au pied d'un rocher et qui pleurait. Bernardo s'arrêta
Que tal viejito ? Porque llores ?
Le vieil homme releva la tête et déclara qu'il pleurait parce qu'il avait soif.
Bernardo plongea la main dans sa besace et en retira la bouteille d'eau.
Le vieil homme le remercia et lui demanda de rester. Bernardo refusa. Il salua le vieil homme et reprit son chemin.

Ne dit-on pas "Marche que je marche, c'est en marchant que je fais mon chemin" Bernardo marcha et c'est ainsi qu'un jour, ou plutôt un soir, al amanecer, il entendit pleurer. Il releva la tête. N'était-ce pas le même rocher, n'était-ce pas le même vieil homme. En tout cas il pleurait. Bernardo s'approcha et demanda
Que tal viejito ? Porque llores ?
le vieil homme répondit qu'il pleurait parce qu'il avait froid. Alors Bernardo plongea sa longue main dans la besace et en retira une longue couverture de laine qu'il tendit à l'homme qui s'en revêtit et s'installa si bien qu'il invita Bernardo à se reposer auprès de lui : "Nous parlerons" 
Pourquoi Bernardo accepta-t-il ? Lui-même n'aurait su l'expliquer. Mais pour ce qui est de parler, c'est le vieil homme qui le fit. Il raconta qu'il était triste, triste à pleurer non pas parce qu'il avait faim ou soif ou froid mais surtout parce qu'il avait perdu l'oiseau auquel il tenait tant. Son oiseau. Il hoqueta de nouveau et ses épaules frissonnèrent; Bernardo rétablit la couverture sur ses épaules.
Le vieil homme déclara que l'oiseau était sur la dernière branche du dernier arbre qui était là haut sur la montagne et en disant ces mots, il montra l'arbre, d'un bras tendu.
Bernardo regada dans la direction désignée. Il vit un arbre se découper dans le vide sur le dernier bleu de ciel qui allait être avalé par la nuit. Il déclara qu'il avait sommeil. S'allongea et s'endormit. Le vieil homme à ses côtés souriait entre deux sanglots.

Un clocher tintinnabulant s'exprima de la vallée. Il réveilla Bernardo. Le vieil homme dormait profondément à ses côtés. Bernardo s'extirpa de la couverture sans faire aucun bruit puis il prit le chemin de la montagne. Quel beau spectacle. Il vit le jour se lever.  Le soleil dérouler peu à peu ses longs doigts, le chemin se rétrécir, dangereusement, l'arbre à même le vide. Et il entendit le chant clair de l'oiseau. Sans réfléchir Bernardo grimpa le long du tronc, d'une branche à l'autre, jusqu'à la dernière, sur laquelle il rampa. Elle allait casser, c'était sûr, mais du moins aurait-il essayé ? L'oiseau était là, tous deux face à face,  allez l'oiseau dépêche-toi, je suis venu pur ton ami, el viejito, allez l'oiseau viens...
Bernardo n'en revenait pas, l'oiseau s'était installé dans sa main, alors il sut qu'il était temps de reculer, de sauter doucement d'une branche à l'ordre, de la dernière sur le sol, l'oiseau recouvert de sa deuxième main. D'un bon pas souple, Bernardo descendait, les mains plates autant que ses mouvements le lui permettaient. L'oiseau allait d'un doigt à l'autre, d'une main à l'autre, parfois sur un doigt il s'arrêtait, coquin, on aurait dit qu'il pavanait, prenait plaisir à attirer l'attention de Bernardo. Enfin Bernardo prit la direction du rocher, d'un pas léger, léger dont il n'avait pas conscience;
Le vieil homme était réveillé. Il refusa de prendre l'oiseau. Il riait. Il déclara : "Désormais cet oiseau est ton oiseau Bernardo, regarde comme tu ris aujourd'hui"
Le vieil homme lui tendit un miroir, sorti d'on ne sait où. Bernardo découvrit le visage d'un jeune homme tout sourire.
"Muchas gracias Viejito, muchas gracias"
Les mots se perdirent autour du rocher. Le vieil homme avait disparu.

L'oiseau au bout des doigts, Bernardo reprit son chemin à l'envers. Dans un village qu'il traversa il s'arrêta chez un oiseleur. Et il acheta une belle et grande cage. D'un bon pas il poursuivit sa route.
Sa mère se retrouva muette du plaisir à revoir son fils. Son père lui apprit qu'ils leur avait acheté une petite maison là-bas tout au bout du village. Ils s'y rendirent tous les trois. Sourires aux lèvres et silencieux. L'oiseau chantait dans sa cage. 
Quelques jours plus tard sur la porte de la maison apparut une plaque qui disait
"Vous avez de la peine ? 
Entrez chez Bernardo !"

Il faut donner du temps au temps. Personne n'y a cru. Et pourtant. 
Au début, ils vinrent timidement. En cachette. Tôt le matin; Tard le soir. 
Aujourd'hui ils frappent à la porte. Quand Bernardo ouvre, ils disent "C'est pour écouter l'oiseau" Bernardo sourit "Il est là, entrez, si vous le voulez bien !" 
Et il rit Bernardo quand il remarque que ceux qui entrent chez lui ressortent en arborant le même sourire que celui qu'il porte à ses lèvres. A chaque fois il pense à la montagne, au rocher et au Viejito.

Oui, ce conte est FINI. 
C'est Souris qui l'a dit. 
C'est moi qui l'ai écrit.